Henry James, L'Américain
Sous le Second Empire, le jeune et riche Américain Christopher Newman tombe sous le charme de Paris et décide de s'y installer. Persuadé que sa fortune, acquise dans la fabrication et la vente de baquets à lessive, lui ouvrira toutes les portes, il s'éprend de Claire de Cintré, une jeune et belle aristocrate. Hélas, la conquête de ce monde très fermé de la noblesse française sera extrêmement ardue pour cet Américain déterminé mais qui demeure un méprisable "commerçant" aux yeux de sa future belle-famille.
En compagnie de Newman, c'est le Paris de Balzac que nous parcourons : "ces rues grises et silencieuses" du faubourg Saint-Germain où les familles nobles désargentées se cachent dans leurs hôtels particuliers. James aurait sans doute aimé que leurs portails s'ouvrent devant lui. L'ambition de Newman est plus grande: il rêve d'y entrer par le mariage. On se prend de sympathie pour le personnage de Newman, il est franc, naïf, honnête, l'argent ne l'a pas corrompu. Lorsqu'on évoque son absence de titre, il réplique :
"Un titre ? Qu'entendez-vous par titre ? J'en sais fort peu sur les ducs, les marquis et les comtes ; j'ignore qui est titré et qui ne l'est pas. Mais je vous dis que je suis noble. J'ignore aussi ce que vous entendez exactement par noble, mais le mot et l'idée sont beaux et je les revendique."
Face à lui, un monde figé dans ses principes représenté par la mère de Claire de Cintré, la redoutable marquise de Bellegarde. On comprend très vite que le dialogue est irrémédiablement impossible entre la sainteté aristocratique des Bellegarde et les dollars de Newman. Pourtant on aimerait qu'il l'emporte et épouse la pauvre Claire prisonnière d'une famille qui l'étouffe, on se prend à espérer et le roman de James (d'abord publié en feuilleton) devient passionnant comme un thriller! Subtil, léger, ironique et cruel...
Les seconds rôles, Noémie Nioche et son destin, Valentin de Bellegarde désoeuvré qui joue sa vie dans un duel ridicule, sont très réussis.
J'aime beaucoup la description du monde de James par Mona Ozouf dans La muse démocratique :
"Entrer dans le paysage romanesque d'Henry James, si étendu, si varié, si touffu, c'est mettre le pied sur un terrain mouvant, entre bonheur et malheur, innocence et expérience, tendresse et cruauté, chien et loup ; lier connaissance avec des êtres désorientants, désorientés, qui se rencontrent péniblement, jamais comme ils avaient rêvé, jamais quand il fallait..."