Le livre de Joe
Joe
Goffman est un auteur new-yorkais comblé. Son best-seller
autobiographique vient d'être adapté au cinéma avec succès, il vit dans
un quartier chic de Manhattan, collectionne les conquêtes
féminines sans lendemain. Fortuné mais désoeuvré, vie dorée mais
vide, Joe tente d'écrire un second livre quand lui parvient la nouvelle
de la maladie de son père.
De retour à Bush Falls,dans sa petite
ville natale du Connecticut, il se trouve brusquement confronté au
passé qui lui a servi de matériau pour son livre. Dix-sept ans ont
passé, les protagonistes sont toujours là : les "Cougars", équipe de
basket locale, Brad le frère de Joe lassé par sa fade vie
conjugale, Wayne son vieil ami atteint d'un sida en phase
terminale, Carly son ex-petite amie...
"Tous les chemins
ramènent à Bush Falls." pense le héros lorsqu'il prend la route,
au volant de sa superbe mercedes gris métalisé.
En effet, plus
l'histoire se déroule, plus nous comprenons que ce retour était
inéluctable, il fallait que Joe affronte toute une communauté
hostile, blessée par la publication du livre qui met à jour ses travers
et son étroitesse d'esprit et son homophobie.
Les fantômes de son
passé l'attendent, le souvenir d'une mère maniaco-depressive
suicidée, son père veuf qui n'avait plus d'autre obsession que
cette équipe des Cougars, la fin tragique de la relation
homosexuelle de ses deux meilleurs amis, Wayne et Sam, l'échec de son
amour pour Carly.
C'est un roman très "américain", restituant
les moeurs et coutumes d'une petite ville, lycée, exploits sportifs,
premières expériences sexuelles, virées d'adolescents, qui vous
rappelle tant de films et de séries.
Mais de qui m'a
touchée dans cette histoire, c'est l'écho qu'elle produit
en chacun de nous (surtout les quadragénaires dont je suis
!)... La présence brûlante du souvenir, la rencontre
brutale et parfois violente du passé enfoui au fond de nous,
toutes ces choses qui "furent" et ne seront plus mais peuvent
encore vous déchirer.
C'est pour cela, je suis sûre, que Joe
nous est si proche, lorsque la souffrance du passé le frappe de plein
fouet. Comme un travail qu'il lui faut effectuer pour enfin se
réconcilier avec un passé enfoui, plein de névroses et de chagrins
jamais guéris.
Ce n'est pas une lecture joyeuse, bien que
l'humour n'en soit pas absent, mais une de ces lectures dont on
ne sort pas "bredouille"! Quelque chose a bougé en nous.
Et lire, outre le plaisir de l'histoire, c'est aussi se laisser
bousculer, interpeller au plus profond de soi. Cette chronique un peu
amère et pleine de nostalgie réussit à nous emporter.
C'est grâce aux commentaires enthousiastes de nombreux blogeurs que j'ai choisi ce bouquin !
Pour
illustrer un peu ce que j'ai ressenti à la lecture du livre de Joe, le
goût du passé et les surprises de la mémoire, un passage que j'ai
trouvé beau et fort, celui où Joe retrouve, intact après
tant d'années, sa chaîne hifi d'adolescent :
"
J'appuie sur l'énorme bouton POWER argenté, et tous les voyants
s'allument avec un couinement sonore. Émerveillé, je vois le bras du
phono qui se lève automatiquement et se déplace jusqu'au bord de la
platine, sur laquelle est posé un vieux 45 tours. Il n'y avait aucune
raison pour que l'appareil ne fonctionne plus, mais je ne peux
m'empêcher d'être surpris. La chaîne est branchée derrière le bureau et
je me souviens de la galère que ç'avait été pour déplacer ce fichu
meuble afin d'atteindre la prise. Je suis sidéré que les conséquences
d'un geste, effectué par le gamin que j'étais avant de devenir moi,
aient perduré jusqu'à aujourd'hui, comme s'il allait de soi que je
reviendrais un jour. Nous voici soudain connectés, ce môme et moi, par
une sorte de faille dans le continuum temps et je le distingue avec une
netteté parfaite tandis que ses angoisses et ses pensées submergent mon
esprit, que ses jeunes humeurs se déversent dans mes veines, et, le
temps d'un éclair, par l'effet de je ne sais quelle espèce de mémoire
moléculaire, je suis lui à nouveau. Je ressens comme un fourmillement
dans les jambes et je m'empresse de m'asseoir sur le lit. Mon lit. Les
haut-parleurs crachotent les premières notes de "In Your Eyes" de Peter
Gabriel, et je ne peux m'empêcher de sourire."
Oh
la ! En tapant ce texte, je m'aperçois qu'il a quelque chose de
franchement Proustien!